J’ai moi-même du mal à croire que cela fasse déjà plus d’un an que ce blog est simplement maintenu en « état de survie ». J’avais même envisagé de l’abandonner complètement. Pas de l’effacer, non, car je veux qu’une trace de mes expériences reste sur la toile, que le récit de mes (trop rares et peu nombreuses) visites et réflexions personnelles puissent au moins modestement contribuer à votre envie d’explorer le monde culturel de notre magnifique capitale. Plus le temps passait, plus je me disais que ça n’avait plus de sens de recommencer à écrire. Les raisons étaient diverses et variées : une dernière année universitaire plus qu’épique, un manque d’inspiration pour trouver de nouveaux sujets qui me touchent et vous toucheront aussi, une méticulosité presque maladive (et donc souvent décourageante) qui me pousse à rassembler et disséquer un nombre incalculable de sources avant d’oser exprimer mon opinion sur un sujet, et enfin, je l’avoue, un poil de paresse.
Et puis… Il y a eu cette visite au MiMa, alias the Millenium Iconoclast Museum of Art. Un véritable petit bijou au cœur de Molenbeek qui, on l’espère, aidera à redorer le blason de cette commune qui pour beaucoup, malheureusement, semble être le centre de tous les maux de la terre.
Je sais, tout bloggeur doté d’une conscience digne de ce nom et d’un minimum de professionnalisme aurait eu la sagesse de « lâcher l’affaire » (= ce foutu blog) plutôt que de laisser UN AN s’écouler entre deux posts. Mais qui a dit que j’étais raisonnable? Entre la sagesse et l’impulsion, j’ai choisi la dernière, car pour moi cette visite a déclenché une avalanche d’émotions que je souhaite partager avec vous, et puis parce que je souhaite encourager ce genre d’entreprise culturelle et espère que ce petit compte-rendu vous donnera envie de vous y rendre.
Le MiMa + Expo City Lights
Le MiMa, en deux mots, est un projet unique qui découle du désir de créer un centre d’échange et d’expression de la scène d’art contemporain (voir http://www.mimamuseum.eu/about/). En plus de ses œuvres permanentes le musée accueille également des expositions, la première (qui se finit le 28 août) étant City Lights. Puisque je ne peux l’exprimer en de meilleurs termes que ceux qui se trouvent au centre de ce projet, je reprends ici leur description de cette exposition qui réunit les réalisations de Swoon, Maya Hayuk, MOMO, et FAILE, offrant ainsi « une image multidimensionnelle de la culture 2.0, cet esprit cosmopolite qui anime le musée ».
N’étant qu’une néophyte en tout ce qui touche à l’art contemporain (et urbain dans ce cas particulier), je ne m’aventurerai pas à vous offrir un crash course retraçant de manière précise et religieuse l’évolution de cette forme artistique ainsi que ses caractéristiques principales. De un, parce que c’est super chiant pour vous autant que pour moi et je n’ai pas envie d’étudier trois milles sources (on va gentiment mettre son côté ultra académique de côté 🙂 ). De deux, parce qu’après tout on vit à l’ère du « if you don’t know it, google it », et il y a en effet bon nombre de vidéos, articles, livres à ce sujet qui seront sûrement bien mieux construits que ce post. Et enfin de trois, parce que je tiens à ne pas m’attirer les foudres des geeks de l’histoire de l’art (Lulu celle-là c’est pour toi. Cadeau.).
Ainsi, ce petit compte-rendu visera simplement à faire part de mon ressenti, des émotions et réflexions qui ont été déclenchées par cette visite. Pour beaucoup d’entre vous elles sembleront évidentes, voire naïves, mais au fond, ce petit exercice qui me pousse constamment à me demander le comment du pourquoi de mes émotions est pour moi une chose essentielle, et en partageant mon expérience j’espère vous inciter à cultiver ce genre de réflexions (n’est-ce pas, au final, le but ultime de ce blog ?).
L’appropriation de l’espace
Un des premiers éléments qui m’ont marquée lors de cette visite est la dimension des œuvres et la manière dont elles exploitent leur support. Le fait de voir de l’art urbain confiné dans un espace généralement réservé aux formats plus « traditionnels » m’a fait me rendre compte de l’importance de l’appropriation de l’espace dans cette forme artistique, ce qui pour moi est aussi l’expression du désir du citadin de se réapproprier sa ville (je me réfère ici aux œuvres lorsqu’elles se retrouvent « dans leur habitat naturel »). L’art à si grande échelle me fascine particulièrement d’un point de vue technique car cela requiert des moyens (physiques) considérables. D’autre part, je ne peux m’empêcher de penser que cette forme d’expression, aussi moderne qu’elle nous paraisse, est probablement celle qui est la plus proche de nos racines ancestrales. Au fond, les hommes des cavernes n’ont-ils pas initié cela déjà à travers les fresques murales ? Une association qui peut paraître stupide pour certains, mais que je trouve personnellement fascinante, notamment parce qu’elle rend compte de notre soif universelle de nous exprimer librement et sans limites. Bien sûr dans ce cas particulier, cet élan de liberté est poussé à l’extrême puisque les Street Artists se revendiquent souvent en marge des mouvements traditionnels. D’où mon interrogation sur la place que ce type de mouvement a pris dans les musées ; les limites entre genres sont finalement assez floues et peu définies. Mais cela est un tout autre débat.
L’explosion de couleurs
De la même manière que j’ai été touchée par la grandeur de ces œuvres, la palette de couleurs utilisée m’a vraiment impressionnée. En particulier l’œuvre de Maya Hayuk, à savoir une pièce dont les murs et fenêtres ont été recouverts de couleurs acidulées, le tout avec des diagonales de différentes épaisseurs qui donnent une dynamique particulière. Ce choix de couleurs « artificielles », qui ne correspondent pas vraiment à la palette qu’on est habitué à voir dans la nature, est pour Hayuk l’expression picturale la plus proche de ses émotions musicales. En-dehors de l’aspect synesthésique, j’ai été particulièrement marquée par cette pièce car la charge qu’elle contenait m’a fait pensé à l’exacerbation des sentiments (peut-être proche du sentiment religieux pour certains ?), à ce trop-plein d’émotions qu’on ressent parfois à un tel degré que ça en devient pratiquement indescriptible et impossible à contenir. L’artiste décrit elle-même son œuvre comme une sorte de chapelle ; une comparaison qui me touche particulièrement car en tant qu’athée, trouver un havre de paix qui soit en même temps dénué de jugement, plus malléable et plus flexible, n’est pas une simple affaire. J’en viens dès lors au concept abordé par le philosophe Alain De Botton, à savoir « l’Athéisme 2.0 », et l’idée selon laquelle nos musées pourraient en réalité devenir nos cathédrales. C’est un concept qui m’a toujours semblé très intéressant, mais le vivre moi-même a apporté une toute autre dimension à cette expérience.
La narration et l’intericonicité
Je pense ici particulièrement à l’œuvre de Faile, sorte de carrousel de l’étrange, du familier, du kitsch, bref du pur New-Yorkais. Certaines de leurs œuvres évoquent pour moi un retour au Pop Art à la Andy Warhol. Dans un style complètement différent des autres artistes exposés, on retrouvait ici un côté narratif très exploité avec une série de « vignettes » qui composaient les œuvres, à la manière d’une bande dessinée. Le fait de pouvoir aussi toucher l’œuvre rend l’expérience beaucoup plus enrichissante : elle nous rapproche à la fois des artistes, de nos propres expériences qu’on relie et identifie à l’œuvre, et des autres visiteurs qui eux-mêmes (peut-être) traversent les mêmes réflexions, interrogations, identifications par rapport à l’œuvre. En gros, elle nous sert de « connecteur universel », et n’est-ce pas finalement la plus belle fin qu’une œuvre puisse accomplir ?
Le côté éphémère
En touche finale, le caractère éphémère de l’art urbain est probablement ce qui à la fois le définit le mieux et ce qui le rend le plus fragile.
Combien d’œuvres urbaines magnifiques ne voyons-nous pas recouvertes de graffitis disgracieux? Je me suis moi-même demandé ce que toutes ces œuvres allaient devenir après l’expo car bon nombre d’entre elles utilisent le musée directement comme support. Mais c’est aussi ce côté fragile, éphémère, furtif, qui ajoute au mystère et à la beauté de l’art urbain. Et peut-être est-ce justement là que se trouve la plus belle leçon de cette visite : la beauté se trouve aussi dans la fragilité.