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Le roman-feuilleton et les quotidiens: une amitié renouvelée?

kioskeTout le monde a déjà entendu parler de ce genre littéraire, né au 17ème siècle et particulièrement affectionné à l’époque victorienne, à savoir le roman feuilleton. Genre romanesque qui, déjà à son apparition, s’inscrivait parfaitement dans le flux de la modernité, le roman-feuilleton a suscité diverses réactions, des plus vives critiques jusqu’aux plus grandes éloges. En effet, sa publication épisodique dans les journaux obligeait les auteurs à écrire dans l’urgence, et à maintenir l’intérêt des lecteurs, au risque parfois de tomber dans un sensationnalisme de mauvais goût. Mais aujourd’hui, à l’ère de Facebook, Twitter, et autres formes courtes de communication, le roman-feuilleton ne pourrait-il pas se faire une petite place ?

Les grands noms du feuilleton

Le roman feuilleton, ou serial comme le dénomment les Anglo-Saxons, a souvent été associé à une forme de littérature industrielle, de « malbouffe » littéraire. Le premier but recherché était de stimuler le lectorat afin d’augmenter les ventes de journaux. Il fallait donc plaire facilement à un public le plus large possible. Or, la source de cette critique n’est-elle pas, au fond, une confusion entre contenu et forme ?

romans-feuilletonsLes plus grandes plumes sont passées par ce format de publication, à commencer par Daniel Defoe au 17ème siècle, suivi beaucoup plus tard par Charles Dickens. En France, Dumas père, Balzac et Eugène Sue ont été feuilletonistes à leurs heures. Enfin, des chefs-d’œuvres de la littérature russe sont également parus de manière épisodique, c’est le cas de Anna Karénine, ou encore de Crime et Châtiment.

Peut-on alors réellement parler d’une perte de qualité due au conditionnement qu’impose la forme ? Je pense que non, et si le Dostoïevski du 21ème siècle offrait à lire ses contenus dans les quotidiens, je les achèterais certainement plus souvent.

Quel sens cela a-t-il aujourd’hui ?

Finalement, le problème principal est de savoir à qui s’adresser. Car aujourd’hui, qui lit régulièrement le journal ? Internet nous a simplifié la vie en nous donnant accès à toute l’information, en tout temps et presque toujours gratuitement, précipitant ainsi la crise des médias. Le public devient difficile à capter, il va directement à l’essentiel en ne lisant que les rubriques ou articles qui l’intéressent. C’est un problème indéniable, auquel je n’ai très honnêtement pas de réponse, mais je pense que le jeu en vaut la chandelle. Certes l’idée de redonner vie aux feuilletons s’apparente à une utopie, mais je pense qu’aujourd’hui, stimuler les ventes des journaux et permettre aux médias de se financer autrement que par la publicité est essentiel. De fait, s’il n’y a pas de lecteurs, il n’y a pas de croissance, pas d’argent, pas de journalisme d’investigation. L’information nous donne accès à une compréhension du monde dans lequel nous vivons, or si nous laissons nos médias dépérir c’est justement la qualité de l’info qui en paiera le prix. Ainsi, réintégrer des épisodes de romans dans les quotidiens pourrait augmenter le nombre de lecteurs, tout en promouvant des auteurs locaux et talentueux.

Five Chapters, DailyLit, exfictions

Tels sont les noms de quelques sites qui aspirent à donner un second souffle au roman-feuilleton. Ils proposent de publier une nouvelle par semaine (Five Chapters), de lire des romans par petites parties envoyées sur votre adresse mail (DailyLit), ou simplement de donner accès à une littérature numérique et épisodique, produite par des auteurs peu connus (exfictions). Ces entreprises ne sont qu’à leurs débuts, il est donc difficile de juger de l’impact et du succès qu’elles ont auprès des utilisateurs du Web. Le jour où l’on pourra prouver de manière manifeste que les webséries suscitent l’intérêt du public et ont un avenir viable, alors peut-être pourrons-nous envisager de redorer le blason du roman-feuilleton et de l’intégrer dans nos quotidiens.

livres et ebooksEn bref

Dans un monde dominé par le numérique, par la (sur-)consommation de séries, par la brièveté des messages, le roman-feuilleton semble trouver sa place. Il pourrait permettre à de nombreux quotidiens de sortir la tête hors de l’eau, et par la même occasion ferait connaître une série d’auteurs contemporains qui ne demandent pas mieux que d’être lus. Mais la presse pourrait-elle prendre le risque d’imposer ce modèle, sans même savoir si cela correspond aux attentes de son lectorat ? A vous de me le dire.

 

Sources:

Gillet Michel. Machines de romans feuilletons. Romantisme, 1983, n°41. pp. 79-90

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1983_num_13_41_4656

http://www.brown.edu/Research/Equinoxes/journal/Issue%207/eqx7_deviveiros.html

Serial Fiction

http://www.arte.tv/guide/fr/048392-000/presse-vers-un-monde-sans-papier